Flânerie du Dimanche 13 juin 2004:
"L'Habitat social fin XIXème"

Le 13 juin dernier, nous avons eu la chance d'effectuer un parcours dans les faubourgs ouvriers de Sainte Savine sous la direction de JL Humbert et sous le patronage de la SAT; Le temps était frais mais les intervenants composés de riverains et de JL Humbert nous ont emmenés dans une promenade de deux heures au 19ème et début 20ème siècle, avec la découverte d'habitats souvent mal considérés, voire même négligés, mais qui recèlent une véritable richesse architecturale.

En effet, nous aimerions beaucoup aujourd'hui bénéficier des mêmes normes de construction incluant des matériaux comme le chêne ou le marbre et la présence quasi obligatoire du jardin de rapport.

Il ressort trois types de construction de 1890 à 1930, mais avec les mêmes constantes :
- ces logements étaient conçus pour des personnes mal logées dans un habitat malsain ou ne pouvant en supporter le loyer.
- le coût était modéré pour une accession à la propriété ou à l'achat.
- tout le confort était prévu, avec des matériaux de qualité.
- on bénéficiait du bon air et de la salubrité.
- des jardins productifs ou d'agrément faisaient parties du lot.
- l'initiative est privée ou patronale pour répondre à un problème de logement.

 

 

Rue Vanderbach:

Le lotissement répond à une initiative privée, celle de monsieur Vanderbach, pâtissier installé place Jean Jaurès, possédant des terrains et souhaitant les rentabiliser.
Les maisons s'élèvent à partir de 1890 au milieu des champs et des vignes ; les acquéreurs sont nombreux car le quartier est sain, bon marché : le prix moyen est de 5000 frs contre 70000frs pour une maison en torchis ; au besoin Vanderbach se fait aussi banquier.
Il y a environ soixante maisons du même type construites en pierre et briques et couvertes de tuiles losangées avec des côtés en carreaux de terre, sur un terrain de 380m² chacune; le plan est rectangulaire avec une entrée au milieu et deux ou quatre pièces en symétrie, un grenier, quelque fois une cave mais on trouve des parquets de chêne au rez de chaussée et en sapin à l'étage. Le confort est sommaire : une pièce sur deux possède une cheminée, les " lieux" sont dans le jardin, le cabinet de toilette sous l'escalier, un puit dans la cour (l'eau courante arrivera en 1904), une borne fontaine au bout de la rue qui étant privée échappait ainsi à l'octroi. Les jardins sont d'abord bordés par une palissade, puis une grille ; la décoration très modeste se limite à une jolie marquise ouvragée du même modèle pour toutes.

La population est à 80% composée d'ouvriers ou employés des Chemins de Fer de l'Est et bonneteries ; 50% des épouses sont à domicile ce qui indique un revenu moyen suffisant et l'apport du jardin potager.
Les relations de voisinage sont excellentes avec un fort sentiment communautaire : la rue était fermée le soir.
La rue a gardé son caractère résidentiel et les petites maisons autrefois ouvrières font le bonheur des cadres tertiaires qui trouvent calme, bon air et jardin d'agrément aux portes de la ville.

 

 

Rue Robert Vignes ou cité jardin Mauchauffée:

A partir de 1920, le patronat bonnetier essaye de lancer des lotissements ; en 1929 le projet est repris par la société Mon Logis sur un terrain de 17700m² avec deux rues parallèles qui se rejoignent en U.
L'architecte sera J. Bauer, inspecteur en chef des Monuments Historiques et spécialiste de l'habitat rural : 30 lots forment en fait soixante habitations jumelées. Le décor extérieur est ici quasi inexistant : les maisons sont en moellons de mâchefer recouverts d'enduit gravillonné blanc gris ; l'aspect est austère mais le confort est tout nouveau pour l'époque : eau courante, gaz et égoûts ; la cuisinière est prévue pour le chauffage et la cuisine.

Le lotissement est en accession à la propriété au bout de 20 ou 25 ans ; les habitants doivent venir de logements insalubres, l'homme et la femme travaillent dans la bonneterie ou la métallurgie.
Ce lotissement a bien le style sans fioriture des années 1925-1930 mais il a aussi su garder son caractère calme et résidentiel et continue de faire la joie de ses propriétaires dont quelques uns sont là depuis le début de l'aventure.

 

 

Rue Alexandre Ribot ou la cité jardin du boulevard Blanqui:

Les maires de Troyes Emile Clèvy et Louis Mony sont favorables au logement social et trouvent l'argent pour édifier la cité jardin qui fait partie de l'Office d'HBM comme la Villa Benoît Malon et Jules Guesde, très confortables pour l'époque.
Les architectes Bassompierre, de Ruté et Sirvin construisent d'abord la cité de la Butte Rouge à Chatenay-Malabry en 1930 puis la reproduisent à Troyes.

Deux parties : un petit collectif d'immeubles à un étage qui donne 147 logements et des boutiques de proximité, des maisons mitoyennes sous l'aspect de grosses maisons dans le style régionaliste landais ; le tout s'articule autour de deux voies principales larges de 6m60, les rues A.Bourgeois et A. Ribot et de rues secondaires ; en 1936, elles deviennent voies publiques car cédées par la Société d'HBM à la Ville de Troyes. Les habitants sont issus des classes moyennes et émergentes, les trois quarts des épouses ne travaillant pas.
Le quartier a gardé son aspect calme et résidentiel, bien aéré, au milieu d'espaces verts importants.

Ces trois lotissements retracent bien l'histoire du logement social et la montée en puissance de l'accession à la propriété, rêve de tout ouvrier mais aussi des classes moyennes. Le jardin est l'un des éléments déterminants, à la fois par l'apport économique non négligeable qu'il représente mais aussi par l'oxygénation et l'aération du parcellaire qu'il apporte. L'esprit de l'entreprise reste collectif et communautaire mais inclut un confort individuel en avance sur chaque époque, qui pose aussi sa marque sur les façades par son style, ses matériaux et la présence ou non de décors.

Jean-Louis Humbert

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photos:
Elisabeth Jonquet